Maîtres
Sortie nationale le 1er février 2023
A Strasbourg, un cabinet d’avocates s’est spécialisé en droit des étrangers. Christine Mengus et Nohra Boukara s’y battent chaque jour pour aider leurs clients. Grâce à leur ténacité, leur humour et leur professionnalisme, elles tentent de trouver des solutions humaines face à la Justice et parfois l’injustice de certaines situations. Elles sont pour beaucoup, les avocates de la dernière chance…
« La justice c’est une machine qui balaye ce qui dépasse de la norme et en particulier les petits. C’est bien beau de dire que nul n’est censé ignorer la loi, mais la plupart des gens ignorent leurs droits. L’enjeu, il est là ».
Le Divan du Monde
Sortie nationale le 16 mars 2016 / Actuellement sur Tënk
Prix du GNCR (Groupement National des Cinémas de Recherche) – FID Marseille 2015
Dans le cabinet de Georges Federmann, psychiatre atypique, consultent des patients français et étrangers. Originaires du quartier, du village voisin ou d’un autre continent, Diane, Gilbert, Karim ou encore Claudine viennent confier ici leur histoire. Pour certains il s’agit de trouver un refuge, une oreille attentive, pour d’autres c’est l’envie de vivre qu’il faut préserver.
Comme elle vient
Sortie nationale le 09 janvier 2019
Prix Roger Camar – Festival Psy de Lorquin 2019
A l’aube de la retraite, au cœur d’une nuit de janvier, Georges Federmann se confie. Dans un entretien enregistré à son domicile, face à la caméra 16mm, le psychiatre n’écoute plus : il parle, il pense. Il n’accompagne plus le patient, mais le spectateur, dans sa réflexion débordante. En racontant sa vie, ses passions, ses luttes et ses déceptions, il perpétue son combat humaniste pour ceux qui n’ont plus la force ou le verbe de le faire.
Le truculent document « Divan du monde » et sûrement le second épisode épisode de l’épopée « Comme elle vient » nous démontrent croquignolesquement que la psychanalyse ne sert pas seulement à nous intégrer à une société qui nous rend malade.
Dans les films de Swen de Pauw, le psychiatre gymnopédiste Georges Yoram Federmann incarne une sorte de détournement saugrenu vivant de psy réussissant à créer des rapports cocassement et généreusement toniques avec ses patients en perdition. L’expérience s’avère complètement limite (et c’est ça qu’est chwette) et elle nous fait réaliser à quel point, quel que soit le rôle thérapeutique qu’on est conduit à assumer dans le réel ou le fictif, il ne peut être question de se passer de rester imperturbablement ludique.
Noël Godin, entarteur
Sur son T-shirt, figure un gros smiley. Le sourire est donc symboliquement présent tout le long du film qui se résume à une caméra braquée pendant une heure quarante sur un personnage qui parait aussi hétéroclite que le décor. On aperçoit derrière lui le capharnaüm de ce qui ressemble à une cuisine, il y a un tricycle d’enfant et quelques objets non identifiables. Voilà pour le décor. Les scènes sont entrecoupées des claps conservés au montage, ainsi que de noirs et de blancs dont on se demande parfois s’ils sont erreurs techniques ou artifices scéniques. On entend à peine les questions du cinéaste intervieweur, mais peu importe, car le sujet est Georges Yoram Federman, son engagement et ses idées, comme elles viennent. C’est d’ailleurs le titre du film, la pensée, « comme elle vient », de ce psychiatre engagé dans un combat sans faille ni compromis.
Assurément, l’engagement en faveur des toxicomanes et des sans-papiers est authentique, constant, il a failli coûter la vie à ce médecin et il a coûté la vie à sa femme. L’évocation est difficile. Heureusement, il y a toujours le smiley avec son sourire figé.
Faire de l’humanitaire en libéral, c’est un peu comme faire de la danse classique en chaussures de ski. Le résultat n’est jamais garanti, mais notre héros y parvient. Comment ? Avec foi et utopisme. Notre psychiatre s’en défendra certainement, mais la foi est en filigrane : Jésus est souvent cité comme modèle. Quant à l’utopie, ce sexagénaire continue étonnamment à la brandir avec une légèreté qui force l’admiration. Lorsqu’il dit que l’industrie pharmaceutique ne devrait pas autant travailler pour l’argent et que les médecins ne devraient pas autant être du côté de la norme et du pouvoir, on s’étonne qu’il ait osé de telles naïvetés. Il n’y a vraiment pas de faire semblant chez ce soignant des abandonnés.
Il n’est finalement pas aussi hétéroclite que son décor. Il vit le monde d’une façon univoque, celle de l’empathie. Il n’est pas psychiatre, il est empathriatre. Il sait qu’arriver en retard aux rendez-vous ou ne pas payer sont les signes cliniques de l’abandon. Il sait que les fragiles ne se plaignent pas. L’absence de plainte est le signe clinique de la misère. Il n’est pas clinicien, il empathicien. Son utopie tombe lorsqu’il reconnait qu’en psychiatrie, il n’y a pas de guérison. Puis elle remonte aussitôt quand il parle de résilience.
Tout ce monologue est parsemé de judaïcité et d’évocation du nazisme. Quelques rappels insupportables des crimes de médecins nazis. Pas de pardon pour ces barbares, même lorsque parfois le psychiatre émerge en évoquant le pardon au bourreau pour guérir du traumatisme. Mais tout de même… Le smiley est toujours là, mais dans les plis du T-Shirt, j’ai cru le voir faire la grimace.
On sent parfois la révolte qui gronde. Le ton monte, les mots dérapent un peu, la pensée devient brouillonne, mais le clap et le noir y mettent un terme. On retient de tout cela que la seule maladie est la misère et que la médecine ne fait que s’occuper des symptômes qui ne rendent pas malades. Reste à savoir si l’on peut ébranler le soin biomédical et normatif en pleurant, en militant ou en criant. Le dosage est difficile et il faut rester en vie pour les quelques patients qui ont encore vraiment besoin de nous. Jésus, Spartacus et tous les héros préférés de George Federman sont morts avant toute compromission. J’ai envie de lui dire de rester en vie, car il est utile à mon empathie parfois défaillante, et je n’ose pas encore consulter en T-shirt.
Luc Périno, médecin généraliste
Comme elle vient est un dialogue filmé avec un homme hors du commun qui raconte son métier de médecin au service des pauvres, des laissés-pour-compte, des sans-papiers. Il a choisi d’accompagner et d’aider ceux qui sont perdus dans les arcanes de l’aide sociale ou médicale, de ceux qui n’ont pas la force de se battre pour franchir les derniers obstacles que nous plaçons sur le chemin de leur survie.
Il parle aussi des médecins allemands des années 30, les meilleurs du monde, qui accaparaient les prix Nobel. Georges Federmann nous apprend ou nous rappelle que médecins nazis n’étaient ni des fous, ni des criminels d’exception, mais des volontaires parfaitement en ligne avec la doctrine eugéniste de l’époque. Ces médecins sont d’ailleurs à l’origine des théories raciales qui ont conduit à l’extermination des juifs et des tziganes. Georges Federmann refuse d’y voir un anachronisme, une monstruosité isolée. Il s’agit pour lui de la forme la plus extrême, la plus aboutie, d’une violence qui persiste encore dans certaines pratiques médicales actuelles.
Pour un médecin, ce reportage est profondément déstabilisant. L’analyse de Georges Federmann interroge sur notre propre pratique. Qu’est-ce qui motive réellement notre exercice ? Que faisons-nous pour honorer le serment que nous avons prêté en soutenant notre thèse ? Chacun aura une réponse différente, mais visionner Comme elle vient est une piqûre de rappel, une claque salutaire qui peut réveiller notre conscience. Mais cette conscience ne devrait-elle pas être éveillée dès notre formation ? Et d’ailleurs, la piqûre initiale a-t-elle vraiment été réalisée ? Quelle faculté de médecine consacre ne serait-ce qu’une heure à ces réalités ? Il faut donner à voir Comme elle vient à tous les étudiants en médecine dans le cadre de l’enseignement de l’éthique médicale. Il faut que chaque médecin le regarde au moins une fois dans sa vie.
Dominique Dupagne, médecin généraliste
La parole de Georges Federmann
« Qu’est-ce que Auschwitz nous a appris ? La question parait démente tellement il nous semble avoir tiré toutes les leçons de ce qui fut la plus grande catastrophe déclenchée par l’humanité contre elle-même. Or, le refus de l’autre est là. L’autre : l’étranger, l’émigré, l’exilé. Le déporté. L’autre : le toxicomane, le SDF. Là, sous nos yeux, quotidiennement, dans la rue, sur les écrans, dans les journaux. Evacuation de camps, centre de rétention, quotas, reconduites à la frontière. « Une des plus grandes démocraties du monde, la France, ne peut accueillir trente mille syriens. Elle est trop pauvre. Trop fragile ».
Georges Federmann, médecin psychiatre nous parle. Il nous parle depuis sa cuisine. Il ne porte ni veste ni cravate ni blouse blanche. Son tee-shirt mauve, usé, est orné d’un smiley. Il a abandonné toute posture, vêtement, repère pouvant indiquer son métier. Pouvant le différencier. L’isoler. Il nous explique la frérocité, ce mécanisme quasiment organique déployé au cœur du principal élément de sauvegarde de la vie humaine : la médecine. C’est un « entre-soi » que la Faculté de médecine, un monde de classes moyennes ou supérieures, un univers de compétition où rien d’étranger à la science n’entre, d’où le futur soignant ne voit pas l’intégralité du corps social. Comme si, d’emblée, cet art ne devait s’adresser « qu’à des gens qui parlent le même langage » et ne pas se préoccuper de ce que contient sa propre mémoire. « Faute éthique », nous dit Georges, que de ne pas enseigner le procès des médecins du régime nazi à Nuremberg car le processus par lequel un groupe est disqualifié, pour a-normalité, dangerosité sociale et génétique, les rouages mêmes de la dégradation sont dans les mains des soignants.
Tout ce que l’on exclut du champ de vision nourri la logique de l’exclusion. Si Médecins du monde, cette médecine de l’urgence, et le plus souvent du trop tard, prospère au cœur même de notre pays, c’est d’abord et avant tout par défaut. Personne n’imaginerait un émigré sans papiers dans une salle d’attente du cabinet privé d’un psychiatre. Lui le nécessiteux, le multi-traumatisé, n’y est pas plus le bienvenu que dans la rue. L’hostilité l’y guette.
Georges a fait le choix de l’hospitalité inconditionnelle, de la salle d’attente ouverte. Il est notoirement accueillant, probablement fiché pour militantisme, stigmatisé par ses pairs. Coupable d’accueillir les coupables.
« La victoire du bourreau, nous dit-il, est de briser sa victime, de la dégager du champ politique. » Terrible image que celle qui surgit à l’esprit en l’écoutant : celle d’un corps que se renvoient éternellement deux ogres, comme une balle. Deux ogres dont l’un est nous, nous citoyens de France, nous à qui Georges le psychiatre s’adresse.
« Comme elle vient » n’est pas une leçon de morale, c’est un état des lieux qui contient une leçon inattendue : accueillir est moins onéreux qu’exclure. Certes, il y a cet argent colossal que nous dépensons pour renvoyer l’autre par-delà nos frontières, mais le vrai coût n’est pas là. Le vrai coût est cette schizophrénie qui gagne notre démocratie auto-proclamée juste, égalitaire, pacifiste, et dont la face obscure la démon-cratie ne cesse de gagner du terrain.
Marie-Laure de Cazotte, écrivain
La cuisine du Docteur Federmann…
Au cinéma, tout dispositif suscite des associations chez le spectateur, c’est certainement une de ses fonctions. En choisissant d’être filmé dans ce haut-lieu de la vie domestique, la cuisine, mais en tournant délibérément le dos aux fourneaux et aux casseroles, Georges Yoram Federmann a assurément pris de grands risques, et notamment celui d’apparaître comme un marmiton ou un gâte-sauce, au lieu du chef étoilé (et un peu toqué…) qu’il sait être en tant d’occasions.
Mais cela ne doit pas nous détourner d’écouter attentivement son propos riche et dense, et toujours nourri de clinique, de sa clinique. Car s’il y a un point sur lequel ses détracteurs (et Dieu sait qu’il en a…) ne pourront jamais l’atteindre, c’est bien l’enracinement de ce qu’il dit dans son expérience quotidienne auprès de ses patients (depuis plus de trente ans maintenant), dans son écoute attentive de leurs récits de vie, de leurs souffrances et in fine de leurs symptômes : il est médecin psychiatre et (légitimement) fier de l’être.
Ayant l’honneur et l’avantage de connaître Georges Yoram Federmann depuis plus de trente ans, mon écrit ne sera donc guère objectif, sachant aussi que je partage en très grande partie ses préoccupations, mais dans une bien moindre mesure, ses combats, que dis-je, son activisme de tous les instants, ou presque…
Ceci dit, je crois que nous devons être tout particulièrement attentifs, au milieu de tant d’autres choses, à ce qu’il nous dit au sujet des médecins, d’une part, et de notre responsabilité citoyenne d’autre part. Que les médecins allemands aient pu aussi massivement – et l’affirmation n’est pas gratuite – adhérer au nazisme, alors qu’ils étaient au même moment une pépinière de Prix Nobel (nous faisons confiance aux qualités d’historien de notre ami), interroge notre profession jusqu’à l’os. Le serment d’Hippocrate (je ne sais pas si les médecins allemands le prononçaient à l’époque) n’est-il vraiment que le serment d’hypocrite, comme le disent si volontiers certains ? Qu’on me permette d’évoquer ici Anne-Lise Stern, grande psychanalyste ayant survécu à la déportation à Auschwitz, et pour qui, après la guerre, il n’était pas question d’entreprendre des études de médecine. Il y a dans son magnifique et terrible livre, Le savoir déporté (2004), un « jamais ça » qui fait mal à tout médecin ou futur médecin persuadé d’agir pour le bien, de ses patients comme de l’humanité. A sa façon, Georges Yoram Federmann nous rappelle aussi que la médecine ne se superpose absolument pas au « bien », y compris dans nos sociétés (plus ou moins) démocratiques.
Et ensuite, la non moins terrible question des « guerres qui sont faites en notre nom », où nos semblables sont tués, blessés, torturés, contraints à l’exil et à tous ses dangers, pour devenir des migrants (presque) partout indésirables, et ensuite des « sans-papiers », traumatisés et humiliés pendant « cinq à quinze ans » (estimation pour la France du clinicien-travailleur social-avocat, fier à juste titre d’exercer parfois simultanément les trois mandats auprès de ses patients). Georges Yoram Federmann fait un poignant et vibrant éloge des déserteurs, des refuzniks, des rebelles, de ceux qui disent non à l’ordre établi, et il refuse ainsi la sinistre et inéluctable victoire des totalitarismes qui « rendent les gens cons », dépourvus de toute pensée ou de tout positionnement politique, avec à l’appui l’exemple alsacien des « malgré-nous », des traumatisés qu’il connaît bien grâce à son travail au long cours d’expert auprès des Anciens combattants.
Et c’est aussi parce que le témoignage de Georges Yoram Federmann me confirme dans le temps une remarque que je me faisais, tout jeune étudiant hospitalier à Strasbourg, à savoir que « les blessures de guerre ne cicatrisent jamais », que je continuerai inlassablement à défendre le cœur de ses combats, nonobstant ses extravagances (peut-être parfois calculées…) et ses inévitables maladresses.
Jean-Yves Feberey, psychiatre (Budapest, le 23 juillet 2018)
Comme elle vient.
Elle vient, la médecine, toute de blanc vêtue. Le blanc des blouses, comme le noir de la Justice, n’est pas une couleur : les médecins, comme les juges, sont neutres. C’est leur idéal et leur honneur. Ce n’est pas la réalité – si tant est que ce fût possible.
Les médecins, comme les historiens, ont rêvé, rêvent encore, leur discipline en science. Mais cette science est un art, et cet art est politique, tacitement ou explicitement. Le plus souvent, c’est tacite : celui qui a juré de soigner « sans aucune discrimination », le riche comme « l’indigent » discrimine au profit des riches, ces patients qui ne posent aucun problème, qui savent noter et respecter les rendez-vous, qui suivent les prescriptions, dont la carte vitale est à jour et le compte en banque repus. Comment blâmer le médecin qui préfère le linge frais au cradingue, au paumé, à celui qui ne dort plus, qui vit en dehors de rythmes sociaux ? Le médecin a travaillé dur à l’Université, il ne compte souvent pas ses heures. Les cyniques sont ultra-minoritaires dans cette profession qui est au service de l’humanité. Mais les meilleures volontés sont rarement éclairées, au cours de leurs études, sur les conditions sociales de leur pratique. Comment soigner un pauvre quand on est riche ?
A la discrimination tacite, Georges Federmann préfère l’acte politique. Il accueille les paumés – sans rendez-vous, parce qu’il faut être socialisé, dormir la nuit et avoir une notion du calendrier pour les respecter.
Il prend la maladie comme elle vient, pour ce qu’elle est. Un malheur qui désocialise et aggrave le malheur. On sait, on l’entend, que c’est un bon psychiatre. Qu’il pourrait avoir pignon sur rue et rouler sur l’or. Il préfère naviguer « la grande bleue » de la chanson, celle qui vient, sur cette nef des fous qu’est le monde et l’histoire. Il sait que l’on ne souffre pas à 400 euros par mois comme à 10 000. Il veut refaire société (la « polis » du mot politique) avec les crades, les tarés et les paumés – ces frères humains qui vivent avec nous.
Ceux qui les ont explicitement rejetés, ce sont les confrères allemands des années 1930. Les médecins furent, avec les juristes et les archéologues, la profession la plus nazifiée du IIIème Reich. Pensez donc ! Le pouvoir politique avait adopté les concepts et les catégories de la médecine du temps (« hygiène raciale », « sélection des meilleurs », « prophylaxie sociale », etc…) et offrait la « communauté du peuple » comme gigantesque terrain de jeu et d’expérimentation aux blouses blanches à brassard brun. Pas de reductio ad Hitlerum toutefois : Federmann évoque, rappelle, commémore mais n’assimile pas. Il rappelle simplement que les médecins nazis étaient des médecins, d’excellents praticiens. Qu’ils ont fait des choix, selon des postulats qui ne nous sont pas si étrangers que cela. Il est devenu impoli, quand on est éduqué, d’être raciste et antisémite. Mais on peut être Président de la République Française (« Liberté, Egalité, Fraternité »), clamer haut et fort son darwinisme social et feuler son mépris pour « ceux qui ne sont rien ». La marée est nauséabonde, partout, depuis la fin des années 1970. Elle est dure aux faibles, elle est nocive aux pauvres et elle est mortelle pour les damnés de la terre.
La vague est là. Le Dr. Federmann invite à bien la fixer, à bien la comprendre. Pour la prendre. Comme elle vient.
Johann Chapoutot, historien
« Comme elle vient ».
Quel drôle de titre ! Comme vient quoi ? La parole de Georges Yoram Federman ? Sa clientèle ? La pellicule ? La vie ? D’un autre côté, l’ami Federmann aime bien à perplexifier ses interlocuteurs : ce n’est donc pas une surprise.
En tant que médecin généraliste, je me sens très souvent en accord avec les descriptions et les opinions de Georges Federmann. Il y a tout de même quelques éléments de (relatif) désaccord.
Il voit dans la compétition à la faculté de médecine l’origine de grands désordres : je n’y crois pas. Je pense que l’origine sociale des étudiants médecins joue un plus grand rôle.
On choisit de bons bourgeois (par des moyens détournés : les concours idiots) et quoi qu’on leur enseigne, il y a peu de chances qu’ils aient de l’empathie et de la compréhension pour les gens « normaux » du « bas peuple ». Au sein des médecins aussi, il y a des hiérarchies. Les moins considérés sont les généralistes. Et sans surprise, j’ai l’impression que c’est parmi eux qu’on trouve le plus de médecins ayant un souci ou une attitude « sociale », c’est-à-dire un accueil et une empathie pour les pauvres et les marginaux.
Pour ce qui est de la sélection des étudiants en médecine, je ne serais pas opposé à un simple examen (avec matières littéraires et/ou humanistes) pour sélectionner un grand groupe d’étudiants suffisamment capables, après quoi on tirerait au sort. En ajoutant à cela des bourses ou un salaire assorti d’une obligation de soin en zone sous dotée ou en hôpital pendant un certain nombre d’années, on changerait de manière radicale le recrutement des étudiants en médecine : les classes moyenne-basse auraient accès au métier de médecin, et cela pourrait avoir un profond effet.
Georges Yoram dit quelque part que du fait de leur consommation tardive de soins, les pauvres coûtent cher au système de santé. Je pense que ce n’est (malheureusement) pas vrai, selon ce que j’ai pu lire (notamment travaux de Pierre Aïach).
En effet
1) les riches exigent des soins onéreux pour pas grand chose (une IRM pour la moindre douleur au genou, si on caricature), d’où un grand gaspillage.
2) et surtout, les pauvres meurent beaucoup plus tôt. Du coup, le système de retraites « par répartition » et le système de soins sont deux systèmes de « redistribution à l’envers » où, globalement, les pauvres paient pour les soins des riches…
Georges insiste beaucoup sur la souffrance des toxicomanes. Bien sûr qu’ils souffrent, surtout lorsqu’ils sont « perdus » et dans certaines périodes de leurs vies, par exemple lorsqu’ils essaient en vain de décrocher, ou que leur addiction détruit leur vie affective et sociale.
Cependant, il ne faudrait pas avoir des toxicomanes une image exclusivement négative. J’en vois beaucoup au cabinet médical (nous avons une file active permanente de 150 à 200 toxicos), et parmi ceux qui sont substitués et relativement stables, beaucoup ont des vies « ordinaires » avec conjoint, enfants, travail… Et voici un point intéressant : ils sont souvent « différents ». Ils ont des points de vue sur le monde plus acérés que bien des « braves gens », ils ont des goûts artistiques, un humour, des discours décalés qui tranchent agréablement sur la routine en cours de consultation. J’écoute soigneusement leurs conseils de lecture ou de musique par exemple. En bref, en dehors de la souffrance, il y a aussi une vie foisonnante et des gens passionnants, souvent plus sensibles et plus créatifs que la moyenne. C’est peut-être dommage d’en présenter (presque) toujours les côtés sombres et ne n’insister (presque) jamais sur ce qu’ils apportent de positif à la société.
Un point très intéressant est l’idée que les patients ont une expertise personnelle de leur propre maladie, et que souvent ils savent mieux que les médecins la dose de médicament qui leur convient (au moins dans le domaine psychiatrique – c’est moins vrai pour les doses d’antibiotiques, évidemment). Je mettrai juste un bémol : beaucoup de médicaments psychiatriques ont un potentiel toxicomanogène. Une fois le patient « accroché » à son médicament, même s’il n’en a plus besoin, diminuer la dose et arrêter est parfois bien difficile. Mais c’est peut-être un problème qui se pose plus souvent en médecine générale qu’en psychiatrie.
Après, fondamentalement, je suis un peu comme Georges. Je me dis que l’histoire est tragique. Lorsque je regarde les combats auxquels je me suis consacré depuis mon adolescence, je me dis que j’ai le plus souvent été du côté des perdants, et qu’on a échoué à établir des rapports Nord-Sud honorables, à lutter contre les lobbies nucléaire / militaire / industriel, à mettre sur pieds une médecine de l’homme au lieu d’une médecine du médicament, à créer les conditions d’une société épanouissante pour tous, à lutter contre la corruption et les fausses informations répandues (notamment) par les industriels… mais quelque chose en moi m’interdit d’arrêter de me battre. Et avec l’âge, ma colère est plutôt de plus en plus profonde…
Comme celle que Georges Yoram Federmann tente en vain de dissimuler.
Jean Doubovetzky, médecin généraliste
Le film nous transmet un échange avec le Dr. Georges Federmann, psychiatre à Strasbourg mais aussi historien et humaniste.
Comme elle vient peut se voir comme un complément du Divan qui montrait Georges Federmann au travail avec ses patients, sauf qu’ici le patient, c’est Federmann. C’est donc plus une image inversée du Divan qu’un bonus DVD montré au ciné. Federmann occupe pleinement le plan (tee-shirt compris). Un vrai plan de cinéma old school. En pellicule, avec du grain, des couleurs chaudes, de l’altérité. Un plan fixe qui bouge beaucoup car il faut parfois changer la bobine et interrompre le discours. La technique plus forte que le propos !
Comme elle vient est le film de la parole donnée. Une parole comme miroir d’une réflexion simple et progressive qui de l’histoire et la seconde guerre mondiale à l’actualité des migrants, forge un être. Qui plus est un psychiatre. De voir le lien qui relie l’expérience de la vie (et les réflexions qui en découlent) à l’application de cette expérience au travail, dans le rapport à l’autre, est fascinant. Outre la portée humaniste qui chez notre sujet est simple et directe (on pourrait presque dire logique), Comme elle vient montre avant tout un mec qui fait bien son travail (on pourrait être en face d’un boulanger ou de l’entraineur de l’équipe de France de Football), en toute indépendance. Un mec pas arc bouté sur ses principes puisque lui aussi, apprend au travers de ses patients et que l’altérité, voir le doute sont souvent présents.
Il fallait ce regard là avec ses moyens là (le film est autoproduit) sans superflue, pour choper ce mec là dans sa plus belle intimité. It’s done.
Stéphane Libs, exploitant
Compagnons de Route
Soutien aux amis !
En DVD et en ligne
Tous les bénéfices sont reversés à la communauté Emmaüs de Scherwiller (67)
Quelques compagnons d’Emmaüs parcourent l’Alsace à mobylette. Empruntant les petites routes agricoles, communales ou départementales, ils se rendent de bivouac en bivouac à la découverte du paysage local. Au fil des jours, des rencontres et des pannes, chacun se raconte et explique comment il a « atterri » dans la communauté Centre-Alsace de Scherwiller. Parce qu’avant d’être un exclu et de devenir un compagnon, on est un homme. Un road movie rythmé qui sent bon l’essence et l’huile de coude !